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Jean Marie Gourreau

Profession : Vétérinaire, Directeur de recherches, Critique de danse

Gilles Coullet :

Son spectacle ne relève, à proprement parler, ni de la danse ni du théâtre, ni du mime. Pas davantage du butô d'ailleurs. Mais de tout à la fois. Pour Gilles Coullet en effet, tous les langages, tous les moyens d'expression sont dignes d'intérêt, et il les utilise tous à bon escient. Sa pièce la plus récente, Wakan la terre dévorée, est un one man show fascinant dans lequel il ne s'exprime jamais pour ne rien dire. Et ce qu'il a à dire, il le dit avec force et conviction, par le geste et l'expression corporelle mais aussi, quand il le faut, par la parole, laquelle appuie le mouvement, le renforce. Son discours, grave et profond, est d'une rare éloquence. Et d'une portée autant philosophique que sociale. Le spectacle qu'il propose s'inspire d'une requête de 1854 que le chef amérindien Seattle de la tribu des Duwamish adressa au gouverneur de l'état de Washington, Isaac Stevens. Les propos d'un sage, lourds de sens, que les aménageurs ou les destructeurs de terres et de forêts vierges devraient méditer profondément. Je ne résiste pas au plaisir de vous en livrer quelques extraits : "Comment pouvez-vous acheter ou vendre le ciel, la chaleur de la terre ? L’idée nous paraît étrange. Si nous ne possédons pas la fraîcheur de l’air et le miroitement de l’eau, comment est-ce que vous pouvez les acheter ? Chaque parcelle de cette terre est sacrée pour mon peuple. Chaque aiguille de pin luisante, chaque rive sableuse, chaque lambeau de brume dans les bois sombres, chaque clairière et chaque bourdonnement d’insecte sont sacrés dans le souvenir et l’expérience de mon peuple. (...) Aussi, lorsque le Grand Chef à Washington envoie dire qu’il veut acheter notre terre, demande-t-il beaucoup de nous. Le Grand chef envoie dire qu’il nous réservera un endroit de façon que nous puissions vivre confortablement entre nous. Il sera notre père et nous serons ses enfants. Nous prenons donc en considération votre offre d’acheter notre terre. Mais ce ne sera pas facile. Car cette terre nous est sacrée. Cette eau scintillante qui coule dans les ruisseaux et les rivières n’est pas seulement de l’eau mais le sang de nos ancêtres. (...) Si nous vous vendons notre terre, vous devez désormais vous rappeler, et l’enseigner à vos enfants, que les rivières sont nos frères et les vôtres, et vous devez désormais montrer pour les rivières la tendresse que vous montreriez pour un frère. Nous savons que l’homme blanc ne comprend pas nos mœurs. Une parcelle de terre ressemble pour lui à la suivante, car c’est un étranger qui arrive dans la nuit et prend à la terre ce dont il a besoin. La terre n’est pas son frère mais son ennemi et, lorsqu’il l’a conquise, il va plus loin. Il abandonne la tombe de ses aïeux, et cela ne le tracasse pas. Il enlève la terre à ses enfants, et cela ne le tracasse pas. La tombe de ses aïeux et le patrimoine de ses enfants tombent dans l’oubli. Il traite sa mère, la terre, et son frère, le ciel, comme des choses à acheter, piller, vendre comme les moutons ou les perles brillantes. Son appétit dévorera la terre et ne laissera derrière lui qu’un désert. Il n’y a aucun endroit paisible dans les villes de l’homme blanc. Pas d’endroit pour entendre les feuilles se dérouler au printemps, ou le froissement des ailes d’un insecte. Mais peut-être est-ce parce que je suis un sauvage et ne comprends pas. Le vacarme semble seulement insulter les oreilles. Et quel intérêt y a-t-il à vivre, si l’homme ne peut entendre le cri solitaire de l’engoulevent ou les palabres des grenouilles autour d’un étang, la nuit ?"

Un ardent défenseur de la nature

Photos J.M. Gourreau

Dans la tradition des Sioux, Wakan est un terme qui désigne ce qui a un caractère sacré ou divin. D'où le titre de l'œuvre. Imprégné de ce texte, Gilles Coullet s'est lancé dans un hymne à la vie et au respect de tous les êtres qui la composent. Une promenade initiatique et poétique très imagée dans laquelle s'immiscent, avec beaucoup de délicatesse et de sensibilité, les animaux et les arbres, l'homme d'hier et d'aujourd'hui, l'eau, la terre, l'air et le feu. Un voyage certes moralisateur mais non violent, enrichi du langage des signes et de mythes amérindiens et dans lequel le mime prend une part prépondérante.

Curieux cheminement que celui de cet homme auquel ses parents ont communiqué leur amour pour la nature sauvage dès l'âge de 3 mois. Son enfance est marquée par la découverte précoce et intime de la nature, de la forêt, de leurs forces et de leurs mystères. Il part fêter ses 20 ans à San Francisco à la fin des années 68 et y vit dans une communauté hippie... A son retour en France, il s'inscrit aux cours du soir de la Faculté de Vincennes qui venait juste de s'ouvrir pour y étudier la philo, dicipline qu'il abandonne après avoir obtenu sa licence. En même temps, il se passionne pour le théâtre et la danse. C'est à Vincennes qu'il découvre le cheminement du maître haïtien Herns Duplan, fondateur de la démarche "Expression primitive" du corps, et ses propos anthropologiques qui conduisent l'individu à une rencontre du corps avec ses sources. Après avoir quitté l'université, Gilles Coullet continue à travailler avec ce maître pour finir par devenir son assistant. L’approche de Duplan avec les enfants était très créative et lui a beaucoup apporté, entre autres son travail d'aujourd'hui autour de l'animal.  Il s'est également physiquement nourri au théâtre corporel d'Yves Lebreton qui s’est consacré à la création d'un mode d'expression centré sur la présence physique de l'acteur. Cet artiste poyvalent complète enfin sa formation en approfondissant la relation corps-voix avec le Roy Hart Theâtre.

Pour réaliser ce projet qu'il cogite maintenant depuis deux à trois ans, il a collecté des milliers de photos, de disques, de livres, de séquences vidéo sur les Amérindiens et, surtout, ce texte dont il déclame en partie les temps forts dans le spectacle. Son idée était non de travailler sur les Amérindiens d'aujourd'hui mais sur ceux d'il y a plusieurs siècles, avant que Christophe Colomb ne débarque en Amérique, ainsi que sur tous ces peuples qui vivent encore en relation étroite avec la nature, en harmonie totale avec ses éléments.

J.M. Gourreau

 

Wakan, la terre dévorée / Gilles Coullet, Espace culturel Bertin Poirée, Paris, 30 & 31 octobre 2017.

Le 02/11/2017

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